Lettre au Premier ministre François Legault

L’extension du réseau d’Énergir jusqu’à Montmagny est l’exemple parfait d’une vision de la transition énergétique qui produit le contraire des effets annoncés. Nous interpellons le Premier ministre sur l’inconséquence de financer l’accès au gaz naturel dans le contexte de l’urgence climatique.

L’octroi de 47,6 M$[1] pour l’extension du gazoduc d’Énergir de Saint-Henri-de-Lévis jusqu’à Montmagny représente 87 % des coûts de construction visant à raccorder un potentiel de 98 clients — un coût au kilomètre de conduite bien supérieur aux projets précédents dans Chaudière-Appalaches[2]. Cette contribution de fonds publics était essentielle pour qu’Énergir puisse démontrer la «rentabilité» du projet sur 40 ans à la Régie de l’énergie et ainsi obtenir le feu vert de cet organisme de réglementation.

Malheureusement, on est loin d’avoir ici un projet aussi vertueux que ce que le gouvernement et Énergir, d’une même voix, décrivent à la population et aux intervenants du milieu.

Plus de GES, plus longtemps, grâce au gazoduc

À Montmagny, nous pouvons constater l’impact désastreux de la Politique énergétique 2030 du Québec qui fait une place au gaz naturel dans la transition énergétique et subventionne le réseau d’Énergir au détriment de solutions sobres en carbone ou d’énergies renouvelables à zéro émission nette.

«Il nous apparaît très discutable, en pleine crise climatique, d’utiliser des fonds publics pour financer la conversion d’entreprises d’une énergie fossile à une autre. Construit-on une économie solide en investissant dans des solutions dont on sait d’avance qu’elles seront obsolètes plusieurs décennies avant d’avoir été amorties? Plus discutable encore, dans l’optique de la nécessaire exemplarité de l’État, est le fait que des institutions publiques — écoles, organisations municipales ou du réseau de la santé — fassent partie des intervenants ayant signé pour obtenir le gaz naturel. »
— Denise Laprise, porte-parole de Montmagny en transition

Concrètement, le prolongement du réseau d’Énergir à Montmagny :

  • Représente une occasion ratée de diminuer les émissions de gaz à effet de serre, puisque la contribution du gaz naturel au réchauffement climatique est comparable à celle des autres énergies fossiles qu’il remplacera;
  • Prolongera le recours à un hydrocarbure fossile pour au moins 40 ans (période d’amortissement du gazoduc), peu importe la fluctuation du prix de la ressource et la hausse du coût carbone de cette énergie;
  • Reportera la transition énergétique des clients du gazoduc à 2060, alors que le Québec doit devenir carboneutre bien avant 2050;
  • Fera stagner la filière locale de la biomasse forestière, une solution pérenne et structurante pour la région;
  • Verrouillera la région dans sa dépendance aux énergies fossiles en voie d’obsolescence au lieu de favoriser une modernisation de l’économie locale.

[Voir l’encadré au bas : Les réductions de GES attendues pour ce projet sont plus qu’improbables]

Des «économies» qui plombent l’avenir

Le principal argument des promoteurs est le bas prix du gaz, qui améliorera selon eux la compétitivité des entreprises desservies, mais c’est passer sous silence le fait que les économies réalisées[3] seront en fait payées par la population québécoise par l’entremise du cadeau de 47,6 M$ à Énergir.

Ces fonds publics auraient pu mieux répondre aux besoins de l’ensemble des entreprises du milieu en subventionnant l’économie d’énergie, l’électrification, le développement de procédés carboneutres, l’achat d’équipements et la robotisation.

Alors que le réchauffement planétaire inquiète vivement la population québécoise, l’adhésion du milieu Magnymontois à une énergie du passé  — génératrice de GES et contribuant de façon importante au risque climatique — est bien plus susceptible de nuire à l’attractivité de la région que de la bonifier. Dans le présent contexte de pénurie de main-d’œuvre, nos entreprises et nos institutions publiques — écoles, organisations municipales ou du réseau de la santé — ont manqué une occasion d’adopter des valeurs en accord avec les défis importants auxquels nous faisons face afin d’attirer des familles, des jeunes et des immigrants.

La transition énergétique, seule clé pour l’avenir

Par son appui politique et financier au gazoduc, le gouvernement du Québec autorise dans les faits une réelle stagnation énergétique qui nuira à nos ambitions de réduction des GES. Il envoie aussi un très mauvais signal aux Québécois et aux Québécoises quant à sa réelle volonté d’initier et de soutenir une transition énergétique dans le temps imparti pour atteindre nos cibles. Surtout, il enlève l’espoir qu’un modèle de développement d’avenir pour la jeunesse, carboneutre et innovant, puisse voir le jour dans une vaste région fortement interpellée par des défis économiques et démographiques qui reposent sur une problématique de rétention et d’attractivité.

Le défi d’effectuer la transition énergétique incombera donc à d’autres générations, mais il sera trop tard pour éviter l’emballement climatique que nous leur légueront par notre inaction et notre irresponsabilité.

Montmagny en transition

[1] « Le projet de Montmagny aura des effets structurants sur le plan des investissements, de l’emploi, de l’activité économique ainsi que de la réduction des gaz à effet de serre ». Cabinet du ministre de l’Énergie et des Ressources naturelles, Gaz naturel à Montmagny – 47,6 M$ pour l’extension du réseau de distribution de gaz naturel dans la région de Montmagny, 25 septembre 2019.

https://www.newswire.ca/fr/news-releases/gaz-naturel-a-montmagny-47-6-m-pour-l-extension-du-reseau-de-distribution-de-gaz-naturel-dans-la-region-de-montmagny-875274048.html

[2] https://montmagnyentransition.com/prolongement-du-gazoduc-jusqua-montmagny-couteux-en-fonds-publics-peu-ou-pas-de-reduction-de-ges-et-viabilite-incertaine/

[3] Le maire de Montmagny précise que les économies réalisées totaliseront 1 million $ par année, soit 40 millions $ en 40 ans. https://ici.radio-canada.ca/premiere/emissions/premiere-heure/segments/entrevue/154690/remy-langevin-maire-montmagny-gazoduc-levis

Les réductions de GES attendues pour ce projet sont plus qu’improbables

  • Le calcul permettant à Énergir de déposer en preuve à la Régie de l’énergie l’évitement de 2 634 tonnes de GES est basé sur un «scénario de référence général considérant un approvisionnement en gaz naturel de source conventionnelle[1]». Or, le gaz distribué par Énergir est très majoritairement extrait par fracturation (autour de 85%) et la part de ce type de gaz augmenteconstamment en raison de l’épuisement graduel des gisements conventionnels.
  • S’il est vrai que le gaz naturel produit moins de CO2 que le pétrole lors de la combustion, les fuites de méthane, même minimes, qui accompagnent inévitablement l’extraction du gaz naturel, son transport, son entreposage, sa distribution et sa combustion peuvent annuler totalement cet avantage. Or, le méthane contribue 86 fois plus au réchauffement planétaire que le CO2 sur 20 ans. Le fait qu’une fraction des émissions de GES attribuables au gaz — celles qui sont liées à son extraction par fracturation dans l’Ouest canadien ou américain — soient comptabilisées ailleurs qu’au Québec ne diminue en rien leur effet sur le climat[2].
  • Le volume de gaz naturel renouvelable (GNR) qu’il sera possible d’injecter dans le réseau d’Énergir demeurera marginal, en raison de son coût élevé et de la concurrence d’usages plus avantageux pour les résidus organiques. On estime qu’il totalisera 5 % à  20 % du volume total dans le meilleur des cas.
  • Dans les faits, de grandes incertitudes planent sur la place qu’occupera le gaz naturel (qu’il soit issu de la fracturation, de l’hydrogène ou de résidus organiques) dans le mix énergétique du Québec dans un contexte de réduction des GES et de crise climatique.

[1] http://publicsde.regie-energie.qc.ca/projets/528/DocPrj/R-4109-2019-B-0026-Comm-RepliqComm-2019_12_05.pdf

[2] «Par rapport au gaz naturel traditionnel, le gaz produit par fracturation hydraulique est en réalité un grand bond en arrière, comme le serait le retour aux coupes à blanc dans l’industrie forestière, ou au raclage des fonds océaniques par chalutage pour l’industrie de la pêche.» Marc Durand, Doct-ing en géologie appliquée et géotechnique https://rochemere.blogspot.com/2020/03/saucissonnage-une-strategie-pour-tenter.html