Le projet de prolongement du gazoduc jusqu’à Montmagny a été annoncé en février 2018 par la MRC et le CLD de Montmagny, mais ce n’est que depuis le dépôt du projet à la Régie de l’énergie le 22 octobre dernier que le public a accès pour la première fois à une information de source officielle. Ces données d’Énergir permettent de porter un regard critique basé sur des données factuelles. 

Les projets de gazoducs reposent sur les clients «rentables»

Bien que la subvention de 47,6 M$ du Gouvernement du Québec pourrait profiter à une centaine de clients, les documents officiels disponibles indiquent que l’évaluation de la rentabilité du projet se fera sur la base des clients sous contrat au moment du dépôt du projet, soit 22 clients.

Depuis la décision D-2018-080 de la Régie de l’énergie en date du 9 juillet 2018, les nouveaux projets déposés à la Régie sont évalués sur la base des clients sous contrat au moment du dépôt plutôt que des clients potentiels, qui sont davantage sujets à l’effritement des ventes.

 [55] [Énergir] fait également valoir que, selon elle, la prudence ne consiste pas à raccorder le moins de clients possible, mais plutôt à raccorder des clients rentables, c’est-à-dire des clients qui couvrent leurs coûts et qui génèrent des baisses tarifaires. — Régie de l’énergie, D-2018-080

Selon les renseignements qui figurent dans le dossier déposé à la Régie concernant le prolongement du gazoduc jusqu’à Montmagny, on voit que les 22 clients sous contrat représentent 79 % du volume potentiel et que, de ce nombre, les 10 clients les plus importants représentent 67,7 % du même volume potentiel.

Si on revient au volume signé, les mêmes 10 clients les plus importants représentent 85,6 % du volume sous contrat et sont donc ceux qui en tireront le plus d’avantages. Cependant, la justification à long terme (40 ans) du projet repose sur le renouvellement de leur engagement et le maintien de leur volume sur cette même période.

Le calcul de rentabilité du projet prend en compte la subvention de 47,6 M$

On voit dans l’analyse financière du projet que des revenus annuels constants de 550 576 $ sont attendus des 22 clients pendant 40 ans et que la subvention de 47,6 M$ du Gouvernement du Québec vient réduire quant à elle les coûts d’investissement dès la construction. Ces paramètres entrent donc, avec d’autres, dans le calcul de rentabilité du projet.

En mettant en relation les volumes des 22 clients sous contrat et la part de la subvention répartie selon leurs volumes respectifs, c’est 40,7 M$ de fonds publics qui peuvent être rapprochés des 10 plus importants clients, soit 4 M$ en moyenne par client.

Si on faisait le même calcul en considérant cette fois le volume potentiel, c’est 3,2 M$ de fonds publics qui pourraient être rapprochés des volumes de chacun de ces mêmes 10 clients.

Pourquoi se livrer à ces calculs ? Sans l’injection des fonds publics pour réaliser l’infrastructure, le projet ne serait tout simplement pas envisageable. Il est fait sur mesure pour les clients les plus rentables qui consommeront la plus grande part du volume sur 40 ans.

Sans gazoduc, point de salut ?

À notre connaissance, aucune étude n’a été faite pour déterminer s’il y aurait des manières plus avantageuses pour notre milieu —et notre climat — d’investir 47,6 millions $ dans l’économie de notre région. L’argumentaire pour justifier le projet sur la place publique reprend les lignes de communication d’Énergir sans apporter d’éclairage spécifique à la réalité Magnymontoise.

Pourtant, l’horizon énergétique est moins favorable qu’autrefois pour les énergies fossiles et le gaz naturel n’échappe pas à cette réalité. Ainsi, la Régie de l’énergie identifie plusieurs facteurs qui vont réduire l’attractivité du gaz dans les prochaines années[1] :

  • les progrès réalisés en matière d’efficacité énergétique, combinés à la réduction observée dans la taille des ménages;
  • les coûts de raccordement des nouveaux clients de plus en plus élevés;
  • la difficulté croissante de rentabilisation des projets d’extension de réseau dans le cadre réglementaire actuel;
  • la forte concurrence de l’électricité à laquelle font face les distributeurs de gaz naturel au Québec pour satisfaire les besoins de chauffe du marché commercial et, encore plus vivement, dans le marché résidentiel;
  • la faible densification du réseau d’Énergir en termes de nombre de clients par kilomètre de conduites, comparativement à ses pairs;
  • le taux d’attrition important de la clientèle constaté au cours des dix dernières années, notamment dans le marché résidentiel;
  • le rôle incertain du gaz naturel dans l’avenir du bilan énergétique québécois, notamment en raison des objectifs de réduction des émissions de GES.

Au cours des dernières années, Énergir s’est fait remarquer par le nombre de ses lobbyistes (142 lobbyistes d’entreprise inscrits en ce moment) et par ses efforts à positionner le gaz naturel comme une énergie de transition, pour tirer profit du financement public via le Fonds vert ou d’autres programmes. En mars dernier, quatre groupes environnementaux demandaient au conseil d’administration d’Énergir de corriger «son modèle d’affaires et ses pratiques communicationnelles de manière à assumer ses responsabilités morales et juridiques dans le contexte de l’urgence climatique» (voir la lettre du Mouvement écocitoyen UNEplanète, de Nature Québec, de Greenpeace Canada et de la Fondation Coule pas chez nous).

La carboneutralité, le défi des prochaines décennies

Avec l’annonce prochaine du Plan d’électrification et des changements climatiques du Gouvernement du Québec au début de 2020 (PECC), il semble acquis que des incitatifs à l’efficacité énergétique et à l’électrification seront mis de l’avant pour réduire les GES.

L’efficacité énergétique couplée au recours à des énergies renouvelables (hydroélectricité, biomasse forestière, géothermie, énergie solaire, éolien), avec un appui financier conséquent du Gouvernement du Québec, est la seule réponse possible dans les années 2020 à la crise climatique, qui commande l’abandon rapide des énergies fossiles.

« Le point de non-retour n’est plus loin à l’horizon, il est en vue et se rapproche de nous à toute vitesse». — Antonio Guterres, secrétaire général des Nations unies, en ouverture de la COP25 [2]

 

[1] Régie de l’énergie, D-2018-080, R-3867-2013 Phase 3, 2018 07 09, pages 24-25.
[2] https://www.ledevoir.com/societe/environnement/568355/climat-ca-va-mal-que-ca-va-mal